Longue vie au réel et à la surprise!
par Ghislain Moret de Rocheprise, le 10/03/2020.
20 ans après l'éclatement de la bulle internet
Il y a vingt ans, le 10 mars 2000, je venais de souscrire à l'introduction en bourse de Multimania, le service internet sur lequel j'avais une page personnelle, et la vie me paraissait magique. En tant que client de la première heure, j'avais eu droit à des actions gratuites en bonus des actions payantes. Ce jour là j'avais potentiellement plus gagné en bourse que mon salaire mensuel au CNRS.
"Le site de communauté Multimania fait une entrée en Bourse remarquée : la demande de titres a été vingt-deux fois supérieure à l'offre." https://www.01net.com/actualites/multimania-emballe-la-bourse-95107.html
Je ne savais pas, et personne au monde ne pouvait prédire, que trois jours plus tard, le 13 mars 2000, l'indice NASDAQ allait se mettre à chuter brutalement, faisant exploser ce que l'on nommera plus tard "la bulle Internet". J'ai revendu mes actions dans la semaine, à la grande surprise de mon ami banquier qui me disait de ne pas céder à la panique, "la bourse c'est du long terme". Grâce à mes actions gratuites, je n'ai pas perdu d'argent, mais j'ai gagné en expérience. L'action Multimania passera de 103€ à 21€ en moins d'un an, malgré un business model rémunérateur et une hausse constante de ses abonnés. Le CAC 40 perdra ainsi 63 % de sa valeur entre septembre 2000 et mars 2003.
Faut-il tirer un enseignement de cette crise de 2000 pour lire la crise de 2020? Non. Pas plus de celle-ci que de celle de 2008 ou toute autre: aucune similitude n'est un modèle prédictif valable.
Le monde qui nous entoure a deux caractéristiques fondamentales.
Le monde est COMPLEXE, le périmètre des interactions autour de nous ne peut pas être délimité, on ne peut pas décrire un modèle exhaustif des variables de notre environnement.
Le monde est INCERTAIN, il ne peut pas être prédit de manière parfaitement juste, toute prédiction est une approximation qui comporte un certain nombre de possibilités d'être à 100% fausses, nommées "cygnes noirs".
Les quatre rappels douloureux du coronavirus sur la prise de décision en incertitude https://philippesilberzahn.com/2020/03/09/quatre-rappels-douloureux-coronavirus-prise-decision-incertitude/
En janvier 2020, les articles économiques titraient "CAC 40, bilan 2019 +25%, la bourse est en pleine forme." En décembre 2019, un Chinois inconnu tousse, tousse, et meurt. Le 9 janvier 2020, la découverte d’un nouveau coronavirus COVID-19 (d’abord appelé 2019‑nCoV puis SARS-Cov2) est annoncée officiellement par les autorités sanitaires chinoises et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le 11 février 2020 "aux Etats-Unis, les indices évoluent toujours sur des niveaux records, en France le CAC 40 rebondit à 6055 points". Le 9 mars 2020 "c'est un séisme sur les marchés, à l'ouverture, le CAC 40 n'a pas pu coter pendant de longues minutes tant la pression vendeuse était forte sur certains titres. Il termine la journée sur un repli historique -8,39% vers les 4708 points."
"Aucun plan de bataille ne survit au contact de l’ennemi".
Du fait de la généralisation de la crise actuelle, de nombreux business plans vont devenir obsolètes. Ceux basés sur des livraisons de composants qui n'arriveront jamais de Chine. Ceux qui sont dépendants du bon vouloir d'un comité d'engagement bancaire qui va se replier sur lui-même pendant quelques mois. Ceux qui comptaient sur un business angel dont l'attention est désormais focalisée sur ses réunions de gestion de patrimoine.
Votre business plan est devenu obsolète? Ne cherchez pas à en écrire un nouveau, il n'aura aucune valeur prédictive sur ce qui compte vraiment. Passez à la logique effectuale. Faites avec le réel.