stratégie Today-centric

par Ghislain Moret de Rocheprise, le 19/04/2020


J'accompagne les entrepreneurs à créer, à s'inventer, à découvrir qu'il n'y a pas de modèle économique unique, et que face aux ruptures de l'environnement des affaires, il est possible de piloter une entreprise en ne visant pas l'horizon, ni en regardant derrière soi. Il est possible de bien se développer juste en intégrant le réel du jour. En étant "today centric".

vision stratégique et incertitude

La plupart des accompagnements à la création ou au changement dans les entreprises débutent par la recherche de la Vision Stratégique, puis déroulent un plan d'action pour tenter d'atteindre l'Objectif Stratégique fixé. L'objectif du positionnement stratégique est de "tenter de créer un avantage concurrentiel pérenne en préservant ce qu'une entreprise a de distinctif (*)". Ce schéma de pensée a notamment pour avantage de réduire la complexité du développement des entreprises à un problème compliqué mais facile à décomposer, et donc à exécuter. Il a aussi pour principal corollaire d'être l'origine de l'échec, en engageant beaucoup de ressources pour atteindre un objectif idéal, tout en rendant mesurable la différence entre être à l'objectif ou pas. Plus le cœur de la cible est petit, et plus il est facile d'écrire un processus pour l'atteindre, mais plus grande est la difficulté pour y arriver sans échec.

Les entrepreneurs avisés, et les financiers spécialisés en capital risque, n'hésitent pas à intégrer, pour arrondir les angles, un mythique "facteur pi", défini par "lorsque l'on exécute une stratégie, le temps et les moyens nécessaire sont généralement 3,14 fois plus important que ce qu'il était prévu pour y arriver". En clair, tout le monde sait que la poursuite d'un Objectif Stratégique, ça ne fonctionne pas. Mais par convention, une grande partie des accompagnant, consultants ou institutions, continuent à le préconiser. Ce n'est pas un gage de réussite, c'est juste un cadre pour partager un langage commun concernant un mythe partagé. Une stratégie, c'est un modèle mental. Une conviction.

Alors, bien sur, je ne dirais pas que Mickael Porter a tort, ou qu'Océan Bleu n'a aucun intérêt, loin de là. Les théories majeures de la stratégie sont d'une très grande richesse, et j'invite les entrepreneurs à les intégrer, pour élargir leur vision des possibilités offertes par la complémentarité des modes de pensée. Mais une fois aux commandes, l'entrepreneur doit composer avec une intransigeante réalité: le temps ne s’arrête jamais, et le monde est de plus en plus imprévisible. Or ce que les stratèges ne gèrent jamais, c'est le facteur temps. Pire, en marge des réflexions stratégiques, il est de bon ton de rajouter quelques notes de bas de page pour se sortir de toute situation, dont les plus courantes sont "le time to market est une variable imprévisible" et "lorsque s'impose le fait du Prince, toute disposition précédente disparais".

En clair, écrivez votre stratégie, posez un facteur pi, acceptez le fait de ne pas savoir si le marché sera au rendez-vous, et méfiez-vous des retournements de situation. Néanmoins, au final, le dirigeant est seul responsable de ses choix, pas ses conseillers. Belle stratégie.

La tactique, management du quotidien

La tactique est la petite sœur de la stratégie. Si la stratégie consiste à viser l'horizon et au delà, la tactique intègre un pilotage à vue, choisissant de contourner ou d'affronter les événements du quotidien. Il n'est pas rare de confondre les termes, aussi vais-je utiliser une notion empruntée à un fameux traité de stratégie chinoise: les stratagèmes. Un mode de pilotage à vue, intègre de nombreux stratagèmes: des stratagèmes pour contacter un prospect, pour capter son attention , pour le convaincre, pour récolter de l'information , pour adapter notre offre à ses objections, etc. Piloter son entreprise à vue, consiste à dérouler des stratagèmes, en affûtant leurs usages pour qu'ils soient plus perfectionnés, plus efficaces chaque jour, dans le but de remporter des victoires simples, mais suffisantes.

La notion de stratagème ne se limite pas à des actions strictement quotidiennes. L'exécution d'un stratagème peut fort bien se dérouler sur un an. Le stratagème à l'avantage, vis à vis de la vision stratégique, d'être ouvertement à objectif limité, et donc à risque acceptable. Une organisation par stratagèmes ne promet pas d'atteindre une position dominante de manière pérenne. Il envisage son existence comme un moyen "de gagner le trône, et de le conserver". Sous entendu, aucune position n'est stable, aucun objectif n'est absolu. Conserver le trône nécessite autant d'actions répétées chaque jour que de l'obtenir.

Stratagèmes et effectuation

Les principes de l'effectuation sont assez clairement un appel à piloter son entreprise en explorant la diversité des stratagèmes. Car ceux-ci sont très nombreux, et peuvent donc s'adapter à de très nombreuses situations. Dans "les 36 stratagèmes", François Kircher décrit un système de six groupes de six stratagèmes, chaque groupe abordant une situation de confrontations différente: offensive, défensive, voir désespérée. De nombreux autres stratagèmes mériteraient d'être énumérés, par exemple les différents stratagèmes pour améliorer sa trésorerie, les stratagèmes pour fidéliser ses collaborateurs, ou les stratagèmes de growth hacking pour améliorer son processus de vente en ligne. Dans un environnement très incertain, voir totalement disrupté, aucune vision stratégique ne peux être écrite sans prendre de sérieux risque de ne jamais atteindre son objectif. Oubliez les plans, travaillez à vue, identifiez les stratagèmes les plus utiles et les plus efficaces dans la situation présente. Mesurez, apprenez, mais ne croyez jamais que ce qui fonctionne un jour fonctionnera toujours.

Votre seule bonne décision stratégique dans un environnement profondément incertain: être centré sur le présent, se projeter à vue, viser des victoire limitées mais suffisantes.